Chers amis,

La discussion lors de la séance précédente m’a été fort utile. Elle me conduit à revoir et préciser des points qui étaient restés flous ou équivoques dans le chapitre sur le financement. Je les soumets à votre indulgente attention.

A quoi sert, dans les trois dernières variantes, le Fonds de financement, m’avez-vous demandé ?

1° Il ouvre des crédits aux banques autogérées, pour qu’elles puissent assurer leur financement propre (elles n’ont pas de fonds propres). C’est sa seule fonction en tant que distributeur de crédits.

2° Il émet des bons d’épargne, à différents termes, qui sont porteurs d’intérêt dans les variantes trois et quatre (financement par les ménages). Ce sont les banques qui sont chargées de les placer auprès du public (dans les mêmes variantes). Ces bons ressemblent à des bons du Trésor, mais sont émis par le Fonds, pour servir uniquement au financement des entreprises. Ils diffèrent naturellement des obligations émises par les entreprises, qui sont ici prohibées. La banque se trouve donc bien dans une situation d’intermédiation, et non de courtier des entreprises. Cela diffère aussi du financement direct par un organisme public, tel que le Fonds de développement économique et social qui a existé à la Libération, ou par des organismes para-publics.

Cela induit, dans mon esprit, un fonctionnement des banques profondément différent de celui qui existe aujourd’hui :

En revanche les banques conserveraient leurs fonctions traditionnelles en ce qui concerne le crédit aux particuliers, s’appuyant pour cela sur les dépôts ordinaires et sur des comptes rémunérés qu’elles pourraient ouvrir librement. Les deux types de crédit sont donc nettement déconnectés.

3° Le Fonds fournit aux banques, en sus des bons, des dotations, issues des intérêts générés par les entreprises, et qui viennent s’inscrire en dépôt. L’ensemble des fonds mis à la disposition des entreprises (bons et dotations) l’est en fonction des demandes des banques et de leurs résultats, ce qui représente un deuxième mécanisme de contrôle et de surveillance de leur activité.

Quel est donc l’intérêt d’un tel Fonds ? Il s’agit d’éviter à la fois la Banque nationale d’investissement, qui était dans les cartons des socialistes en 1981 et n’a pas été créée (Les Codevi en ont fourni un mince substitut), et qui risquerait de reproduire les défauts de la Banque d’Etat soviétique, et un système bancaire livré à lui-même (cf variante 1) et sur lequel on n’agit que par les taux directeurs de la Banque centrale et par les taux d’intérêt préférentiels (à noter que les crédits à taux bonifiés représentaient encore près de la moitié des crédits distribués en 1984, ce qui signifie en définitive que les aides de l’Etat passaient par là).

Le Fonds contrôle par là une partie des dépôts des banques (il détermine la quantité des bons qu’il émet et les autres dotations), mais, comme il ne peut contrôler l’émission de crédits par les banques (sauf par des sanctions dans l’attribution de crédits propres, si leur gestion est aventureuse. Cf fonction 1), il doit encore imposer un taux de réserves obligatoires sur les dépôts (les crédits des banques faisant les autres dépôts). Je ne vois pas que le système puisse marcher autrement. Donc il joue un rôle très important dans la politique monétaire et la maîtrise de l’inflation.

Dans la variante 3 les taux d’intérêt des bons sont administrés (comme aujourd’hui pour les livrets d’épargne populaire), mais les taux de crédit aussi, ainsi que le taux de marge des banques. Ce sont là des décisions de l’autorité politique, dûment informée par le Fonds. La concurrence entre elles ne peut donc se faire que par le chiffre d’affaires. Il m’a semblé que c’était dommage. D’où la variante 4, où le Fonds continue à émettre des bons, mais où les taux sont déterminés par les banques . Les contrôles qui subsistent concernent les taux de crédit, le taux de marge, et les réserves obligatoires. Il reste important.

On peut imaginer une variante 5, où ce seraient les taux de l’intérêt versé aux ménages qui serait administrés, mais non les taux de crédit, mais le taux de marge serait plus difficile à contrôler. A fortiori dans une variante 6, où les deux taux seraient libres.

Tout cela ne ressemble que de très loin à l’encadrement du crédit, qui a été un spécialité française, et qui consistait à autoriser des normes de progression de crédit variables selon les établissements. Ici l’encadrement se fait par les dotations et par les taux.

Tout le problème qu’il fallait résoudre est de ne pas laisser aux banques trop d’autonomie, ce qui était en partie le cas dans le système yougoslave (avec un pouvoir de pression des grandes entreprises), et, inversement, de ne pas en faire de sortes de départements de la Banque centrale (ni des filiales capitalistiques) ou du Ministère de l’économie (comme c’était le cas en Hongrie, où il n’existait de véritables banques commerciales). D’où ma solution : un Fonds indépendant de la Banque comme du Ministère, et laissant aux banques une grande autonomie de gestion. En voyez-vous de meilleure ? Vos idées seront les bienvenues.

3° C’est le Fonds qui est chargé de l’application des taux de crédit préférentiels (sur instruction des pouvoirs publics) et de la compensation auprès des banques. Il est ici l’un des instruments du plan.

Quel est le rôle de la banque centrale ?

Il est classique dans la variante 1. Il est beaucoup plus réduit dans les autres variantes, puisque c’est le Fonds qui est chargé de contrôler indirectement l’émission de crédits aux entreprises, donc une grande partie de la création de monnaie. Il reste néanmoins indispensable, parce que les banques reçoivent aussi des dépôts des ménages (je pense ici aux comptes courants non rémunérés) et qu’elles restent maîtresses du crédit aux particuliers. Son action pourrait se faire uniquement par les taux directeurs, agissant sur le marché monétaire (les banques qui ont des excédents peuvent prêter aux banques qui manquent de liquidités, et l’ensemble du système a besoin de se refinancer auprès de la BC pour disposer d’une couverture en billets).

Pourquoi ne serait-ce pas la Banque centrale, ou plutôt l’un de ses départements, qui jouerait le rôle du Fonds ? C’est possible, mais une séparation plus nette me paraît préférable. Je redoute un pouvoir excessif de la BC (qui ne serait pas, cependant, indépendante !). Il me paraît préférable qu’une partie de la planification se joue dans le triangle organismes de planification/pouvoir politique/ Fonds de financement, et que la Banque soit plutôt confinée dans une fonction de régulation générale.

Les banques vont-elles s’attribuer des rémunérations supérieures à la moyenne, fortes de leur pouvoir ?

Cela renvoie au système de rémunérations, et à un problème plus général, soulevé à juste titre : celui des branches qui, étant en expansion, peuvent faire plus de bénéfices que d’autres, et donc attirer plus facilement les crédits, payer mieux ou intéresser davantage leurs travailleurs etc. Je n’ai pas d’autre réponse à ce problème général que la concurrence par les prix elle-même à l’intérieur de ces branches, qui fera baisser le niveau des bénéfices. Il est vrai que les banques sont une branche à part. Mais, comme leur taux de marge est administré (il ne peut en aller autrement, sans quoi elles s’entendraient pour spolier le Fonds des intérêts qui lui reviennent), il est possible de contrôler leur activité de telle sorte qu’elles fassent, globalement, des bénéfices (le niveau des commissions ne doit pas être trop bas), mais aussi que ces bénéfices ne s’écartent pas de la moyenne générale.

Que penser d’un biais labour saving dans le comportement des entreprises ?

Le problème des coopératives était le plus souvent celui d’une tendance au sous-investissement. Avec le financement par le crédit, ne court-on pas le risque d’un sur-investissement, du fait d’entreprises voulant faire plus de bénéfices que les autres ? C’est possible, mais je rappelle ce que je disais à propos de l’emploi : lé préférence pour le loisir, la possibilité d’améliorer les conditions de travail peuvent sérieusement modérer le désir de revenus plus élevés. En outre la répugnance à licencier joue dans le sens de l’emploi. Enfin il faut quand même payer les intérêts, ce qui doit empêcher les phénomènes de suraccumulation chronique qu’a connu le système soviétique.

Voilà pour aujourd’hui. Avec mes amicales salutations.